Pourquoi écrire ?

La question du « pourquoi » est essentielle.

Dans toute activité humaine, elle précède le « comment ».

La question n’est pas comment te dire adieu mais pourquoi te dire adieu. La question n’est pas comment aller sur la planète Mars mais pourquoi aller sur cette planète. Le jury d’assises voudra savoir, comprendre le « pourquoi » du meurtre de ton voisin plutôt que le « comment » tu l’as tué. Ce « pourquoi » aura un retentissement certain sur la sentence et ses motivations.

Même les questions les plus évidentes basées sur le seul « comment » éludent en fait celles sur le « pourquoi » qui sont sous-tendues. « Comment aller, en février, à Morzine depuis Angoulème ? » sous-tend en fait la réponse, non formulée, « Comme je suis en vacances, que je veux changer d’activité et que j’aime skier, je vais aller à Morzine » à la question, « intuitée », « Pourquoi aller à Morzine ? ».

Le cerveau, prend en quelque sorte un raccourci, évident dans ce cas simple. L’inconscient prend souvent des raccourcis. Pour aller vite. Pour nous satisfaire. C’est notre responsabilité, consciemment, de le ramener à la juste mesure et de prendre ainsi le temps nécessaire de l’introspection, de la compréhension.

Pourquoi ai-je cette envie, ce besoin d’écrire ?

La première réponse est hédoniste. Pour le plaisir.

Ecrire me semble être un plaisir, au départ solitaire, égocentrique. Lâcher des mots sur une feuille, les mettre en musique, en harmonie avec ce que je suis, avec ma vision, mes valeurs, ou au contraire, à l’opposé de ces valeurs, me plaît. Cela me réjouit le cœur, flatte peut-être mon égo, me procure un plaisir intellectuel et me rend joyeux.

En fait, ce plaisir est celui de tout artiste, de tout créateur. Devant ma page que je noircis, je crée, je suis co-créateur avec Dieu. Dieu a créé des êtres humains – on le dit, on le suggère, on l’affirme, on le remercie pour cela ou on le déteste, on s’en f… ou on le dément – et l’auteur créé des personnages, des vies, des sentiments, des relations entre ces êtres virtuels, des chausse-trappes, des pièges, des trahisons, des amours tumultueux ou contrariés… Comme dans la vraie vie. Dieu est-il pour autant responsable de nos vies ? C’est un autre problème. Mais l’auteur que je suis est responsable de ses personnages et de leur environnement. Quel  pouvoir immense ! Dieu aurait créé le système des planètes, des galaxies, des mondes parallèles ou non, des lois mathématiques prodigieuses, et in fine l’homme et la femme. De la macro-conception. L’auteur crée des personnages, des situations, des relations… De la micro-conception. Dieu, tu es le plus fort. Inutile d’en porter ombrage. Son domaine est plus vaste, plus complexe. Grand merci de me laisser jouer avec des éléments plus abordables à mon échelle. Avec Dieu, nous partageons la même soif : créer et aimer.

Écrire, c’est créer.
Écrire, c’est modeler la glaise des personnages dans sa tête, comme le fait le potier avec ses mains sur son plan de travail ou sur son tour.

Écrire, c’est laisser ses doigts courir sur le keyboard comme le musicien laisse courir ses doigts sur le piano.

Écrire, c’est jeter les mots sur la feuille comme le peintre jette son pinceau sur la toile. Cela ne ressemble à rien au départ. Regardez le caricaturiste.  C’est le trait final qui donne corps et âme au portrait. C’est le trait final qui rend corps et âme au roman ou au poème, ou à la nouvelle. Ce trait n’est pas toujours la dernière phrase car l’écriture a ceci de plus que la peinture, la sculpture ou la musique : il est aisé de revenir en arrière, de corriger.

Écrire est une nécessité, un besoin.
Dans mon cas, j’ai modestement, mais très activement, participé au développement de l’informatique dans un secteur économique essentiel. Ma formation a été tournée autour de la dualité, du zéro et du un. Ingénieur, cela rendait « un » parce que c’était correct, dans le respect d’un cahier des charges, d’une demande d’un décideur, ou cela rendait « zéro » dans le cas contraire. A nous de trouver où le « un » se transformait en « zéro ». Voir un monde en binaire est un dessèchement de l’âme. Combien de mes amis informaticiens écrivaient des textes, jouaient des pièces de théâtre, pratiquaient la poterie, la peinture, la musique ? Nous n’en parlions pas facilement entre nous, par pudeur, par manque d’analyse du « pourquoi ». Nous l’apprenions souvent au détour d’un décès ou par hasard, lors d’une exposition, d’un vernissage…

Écrire, c’est fuir le temps qui passe.
Mon premier roman, inachevé, a débuté un jour férié, sans travail, sans but précis, ennuyeux, un 1er novembre, triste, pluvieux, un jour de totale solitude. J’ai mis Mozart sur la platine et j’ai commencé à pianoter le clavier… Mozart m’a guidé. A priori, pas très loin, pas jusqu’à la fin, pas de manière très efficace. Mais quel plaisir d’avoir rédigé dix pages et commencé une histoire.

Écrire, c’est garder une motricité intellectuelle
C’est « ne pas mourir avant l’âge » comme je me plaisais à dire à celle qui m’interrogeait, en me voyant, le soir, m’éloigner d’elle – en fait du poste de télévision allumé – pour rejoindre mon univers secret, et continuer à jouer avec mes personnages placés dans des situations que je tentais de contrôler.

Écrire, c’est aussi être lu.
Au départ, avec un unique lecteur, soi. Se relire est jouissif. Par définition absolue, ce que vous avez écrit est formidable, bien dit et idéalement clair. C’est en accord avec vous-même, donc c’est parfait. Cela ne l’est pas pour d’autres. Écrire pour soi n’a donc pas réellement de sens. Écrire pour être lu, c’est allumer une lumière dans la nuit noire. Quand les lumières sont nombreuses, concentrées, vous avez créé le phare qui indique les rochers et éclaire le chenal.

Écrire devient un moyen de communiquer ses idées.
Sa vision à un lectorat. Celui-ci est virtuel, on ne le voit pas, on suppose qu’il existe, quelque part là, dans un nuage. On l’espère. Une fois dépassé le sentiment d’imposteur, on cherche à rencontrer ces potentiels lecteurs. Là, vous tombez de haut. Le lectorat n’est pas homogène et peu enclin à reconnaître votre « génie ». Normal, il est créateur, lui aussi, de sa propre histoire, à partir de votre écrit.  Il est capable de trouver superbe un passage que vous trouvez médiocre, et vice-versa. Il peut même trouver, à la lecture de votre opus, des références à des écrits ou à des films que vous ne connaissez pas. Il ne voit pas la même définition de vos personnages, selon son vécu, son affect. Certains dénigrent votre écrit, d’autres vous encouragent à continuer, d’autres encore se sentent obligés de vous dire que cela est bien. « Vraiment », ajoutent-ils. J’ai souvent posé la question : achèteriez- vous ce livre s’il était publié ? Une non-réponse ou un regard fuyant vous renseigne mieux qu’une longue tirade.

Alors, vous reprenez, vous corrigez, vous réécrivez. Vous faites un second jet, puis un troisième, puis un  énième. L’auteur de la saga des fourmis a déclaré avoir réécrit 120 fois son premier ouvrage.

Une fois le sentiment de colère, d’incompréhension passé, une fois l’histoire ficelée, plausible, rendue cohérente, clarifiée, simplifiée, il vous reste la question de la grammaire, de l’orthographe, des tournures de phrase, des renvois des dialogues, des cohérences de temps, des guillemets… C’est au départ une horreur. J’avais achevé mon roman ! Si ! Eh non, il faut maintes et maintes fois remettre en jeu l’ouvrage, trouver un professionnel qui vous corrige, vous explique vos erreurs et lire, relire, jusqu’à l’overdose. Par petits moments de travail. C’est long, long et long.

À un moment, vous devez « lâcher ». Soit le roman que vous jetez, soit votre colère ou votre sentiment de mal-être ! Alors, vous comprenez que ce qui vous semble coercitif, rébarbatif est en fait la base pour une grande liberté. Le mot juste, la tournure adéquate, le sentiment exprimé avec la force nécessaire, la musicalité de la phrase, sont recherchés. J’ai découvert, dans mes nombreuses séances de réécriture et de correction, un sentiment important : au début, cela me contrariait terriblement car je devais rentrer dans des formes d’écriture imposées.

Une phase technique en quelque sorte, qui venait en opposition à ma grande disponibilité à inventer, créer des situations. Et cela, d’instinct, perturbait mon esprit un peu rebelle. Cependant, à force de corriger, je me suis pris au jeu et j’ai bien vite aimé ce travail fastidieux. Le lecteur, dont je suis le premier d’une longue cohorte espérée, est, localement « bridé » sur la compréhension littérale du terme, mais il a encore plus de liberté pour s’échapper sur le sens des relations, des émotions et sur le sens même du roman. Quand je pratiquais l’aïkido, mon enseignant, mon « sensei » expliquait que son but « était la recherche du geste vrai », d’où une rigueur terrible, quasi millimétrée de la position des hanches, des jambes, de la saisie, du geste, de la technique, de la protection de son intégrité et de celle du partenaire… Ce fut un enseignement dur, pénible souvent, parfois difficile à supporter, mais quelle joie ensuite, car les automatismes intégrés dans notre corps, nous permettaient ensuite de parcourir des axes de recherche d’une liberté inouïe.

Écrire, c’est remplir son âme d’émotions, de joie.
C’est, dans certains cas, remplir un vide spirituel ou affectif. Cela reste une formidable expérience humaine liée à l’art.

A tous ceux qui écrivent, du texte, de la chanson à l’essai, de la nouvelle au roman, de la poésie à l’autobiographie, du haïku à la pièce de théâtre, etc., à tous, grand, immense respect.

Moquaden Shomiti.

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