Touché en plein Caire

Couverture du roman

Un rapide résumé du livre :

Hugo, chercheur en mathématiques aujourd’hui, est nommé au Caire, à l’Institut Monge. Il reçoit de manière inattendue une information venant de l’époque des pharaons et inscrite sur un temple. Cette révélation le bouleverse et il cherche à en vérifier la justesse.

Il se heurte alors à une opposition violente de son amie et mentor à Paris, ainsi que des autorités Égyptiennes. Il doit affronter de nombreuses péripéties douloureuses dues à ces oppositions et doit regagner Paris en catastrophe.

Dès lors, il va devoir engager une bataille féroce pour sauver sa vie et arriver à publier la démonstration qu’il a entre les mains.

La fin du livre amènera à la compréhension de ce qui se joue dans cette guerre et qui remonte à des temps très anciens.

Extraits :

Chapitre 1 :

Le paradoxe du ventilateur

Une phrase fusa, dans laquelle le nom d’Allah le Tout Puissant fut invoqué. Le conducteur du taxi noir et jaune leva les mains dans un signe rageur d’impuissance. Une bordée de mots plus ou moins traduisibles accompagna les mains puis une prière muette de résignation traversa le regard du chauffeur. Huit heures quarante-cinq, un embouteillage gigantesque était en train de naître sous mes yeux.

D’ici quelques minutes, le boulevard serait paralysé sur plus de trois kilomètres.

Était-ce dû à un bourricot refusant de traîner une charrette de foin ou d’olives, à un camion déchargeant du mobilier pour une banque, ou à un banal accrochage entre deux véhicules ?

Était-ce dû au zèle de l’agent de police perché sur sa guérite au croisement lointain, harassé déjà sous la chaleur montante, la pollution et la poussière jaunâtre, paniqué par les rumeurs de contrôle par son supérieur de son activité et de sa capacité à gérer le flux ? La supervision était exercée au travers d’une caméra nouvellement installée au sommet d’un mât et qui regardait l’agent de son œil torve et inquisiteur. Le policier avait bien repéré cette masse noire, immobile, silencieuse, inaccessible, qui l’épiait en permanence. Cet œil maléfique rendait compte de sa gesticulation débridée et de son échec patent à faire régner l’ordre dans ce carrefour.

Mais quelle activité et quelle efficacité pouvait avoir ce brave homme dans ce formidable flot de véhicules qui déambulait, à la vitesse de l’escargot, sans se soucier de ses gestes et de ses coups de sifflet incessants ? Chacun essayait de grappiller quelques centimètres pour son véhicule, sans se soucier de règles communes établies, tacites ou sifflées par un agent de police ruisselant de sueur, s’agitant sous le regard fixe d’un objectif tel un acteur désabusé de série B, s’étonnant d’être dans ce scénario mal ficelé.

La rumeur colportée jusqu’au fonctionnaire était néanmoins incomplète : elle omettait le fait que le dispositif fureteur avait bien été installé mais n’était même pas relié à un réseau électrique. La coordination administrative et financière nécessaire entre les services de police, la ville, la compagnie d’électricité s’était égarée dans un nuage brumeux d’indécisions des fonctionnaires. Un reportage télévisuel avait pourtant bien été réalisé sur cette installation, insistant sur ses bienfaits pour le petit peuple cairote.

La circulation s’engorgeait, stoppait de chaque côté du boulevard, gagnait les rues et artères adjacentes comme une excroissance monstrueuse et mousseuse qui se répandait à une vitesse stupéfiante au travers de la ville.

Le Caire était bloqué et éructait sous les bêlements des klaxons et les vociférations des conducteurs. Il faudrait au moins deux heures pour que la circulation redevienne non pas fluide mais simplement chaotique. Il était hors de question de rester bloqué dans ce véhicule devenu inopérant. Mes cours m’attendaient. Je réglai le chauffeur et je sortis dans la touffeur et dans le bruit.

Vingt mètres. Il me fallut à peine vingt mètres pour être asphyxié. Mon pas se ralentit immédiatement, mes poumons cherchant l’air avidement. Sorti du taxi les épaules hautes, déterminé à rejoindre mon but rapidement, en quelques secondes, je fus ramené à l’état du Cairote ordinaire : les épaules basses et le regard à terre, essayant de dépenser le moins possible d’énergie, de dégager le minimum d’échanges gazeux, en un mot de survivre. Arrivé devant l’hôtel du Soleil, à l’entrée miteuse, sale et encombrée de multiples objets hétéroclites, mais au dallage du patio merveilleusement décoré de carreaux bleus et pastels rehaussant la fontaine rosée centrale qui déversait une eau fraîche, bien que rare, je m’enfonçai dans la ruelle, parcourus quelques dizaines de mètres parmi les immondices, tournai à droite dans la maison délabrée, quasiment rasée.

Je montai sur le tas de terre et de pierrailles qui en constituait les ruines, saluai le gamin qui émergeait de l’amas de gravats, dernier rejeton de la famille de dix personnes qui vivait sous terre dans cette demeure devenue troglodyte, passai entre les voiles qui séchaient mollement au soleil, sautai sur le muret de séparation, longeai le mur lézardé, me pliant pour passer sous les étais, escaladai les pierres qui faisaient saillie et constituaient une sorte d’escalier, fixant du regard mes pieds afin de ne pas tomber et surtout pour ne pas porter la vue dans la direction de certaines habitations, au risque de surprendre une femme non voilée dans son intérieur.

J’enjambai une forêt de paraboles, signes d’une altérité certaine au milieu de ces demeures non achevées et déjà en cours de délabrement, sautai sur la terrasse d’un immeuble de petite taille, ignorant les cris d’une vieille femme et les pleurs de bambins qui s’en suivirent, et enfin, je pus redescendre par une vieille échelle de fer accrochée au mur jusqu’à la ruelle qui me mena dans le boulevard parallèle à celui où mon chauffeur de taxi appelait probablement toujours Allah à la rescousse.

J’étais en nage, couvert de poussière et de terre, mais j’avais gagné la bataille et vaincu l’embouteillage. Traverser le boulevard, au milieu de voitures pétaradantes et fumantes mais stupidement arrêtées, fut un jeu d’enfants. Quelques minutes plus tard, je pouvais pénétrer dans la relative fraîcheur de l’Institut des mathématiques et regagner mon bureau, que je partageais avec trois autres collègues, en alternance ou en congruence, selon les plannings, les cours donnés, les absences et les embouteillages. Je saluai l’occupant, Mohamed, toujours drapé dans sa djellaba blanche impeccable, et je tirai une chaise pour m’affaler, essoufflé et meurtri de cette course matinale dans cette gigantesque mégalopole de plus de seize millions d’âmes. Dont la mienne.

L’Institut des mathématiques était minuscule. C’était une extension de l’Institut d’Égypte, section des mathématiques, fondé par Napoléon Bonaparte en 1798, pendant la campagne d’Égypte.

Un peu plus loin dans ce 1er chapitre :

Un ventilateur défraîchi brassait un air tiédasse, miaulant à chaque tour de pale. Quand la pale arrivait en haut du cercle, elle devait rencontrer un obstacle. Ou l’axe était tordu. Le miaulement était caractéristique et rythmait la relative illusion de déplacement d’air. Je m’étais à plusieurs reprises interrogé sur l’équation qui décrivait le mouvement de cette pale. Une modélisation mathématique aurait certes pu conduire à des éclaircissements sur le phénomène sonore, mais j’avais renoncé à poursuivre ma recherche en ce sens. Le monstre appartenait à Mohamed et il ne convenait pas de se mêler de ses affaires, fussent-elles son appareil poussif à brasser de l’air.

À cette heure, résoudre un tel dilemme était déplacé, inconcevant. Il aurait fallu arrêter la machinerie, la redémarrer, faire des relevés, des topos, des mesures de temps, échantillonner, bref avoir des données précises. Impossible. Vraiment. J’esquissai un sourire. Si l’axe était légèrement déboîté comme je le subodorais, il suffirait de le remettre en place ou de le caler, avec une allumette par exemple, pour lui redonner une dignité certaine.

Une allumette ou une modélisation mathématique ? Quelle était la solution la plus simple, la plus rapide, la plus efficace ? A priori, l’allumette. Oui, mais, si l’allumette ne suffisait pas ou si l’axe n’était ni déboîté, ni tordu, la solution empirique, physique ne pourrait convenir et on revenait à une étude approfondie, théorique. Et qui disait étude ne disait pas forcément solution technique évidente. Peut-être était-il plus sage de remplacer l’instrument. Ou encore de ne rien faire.

Mais cette petite merveille de technologie inopérante à faire baisser la température appartenait au sieur Mohamed et la sagesse était de ne pas commenter ni même regarder l’objet avec insistance, ce qui aurait pu générer des pensées et des émotions toxiques dans le crâne surchauffé de mon compagnon de bureau.

Mes relations avec Mohamed avaient été empreintes d’entrée d’une froideur et d’une méfiance réciproques. Pour lui, les chercheurs étrangers étaient tous des mécréants athées venus occuper des places qui devaient revenir à de bons Égyptiens musulmans. Étant le dernier arrivé, mon activité et mon comportement étaient donc particulièrement scrutés. Mon origine multiculturelle ne plaidait pas en ma faveur, à ses yeux.

Chapitre 10 :

Un repas IBQM sous le galop des chevaux

18 heures, appartement de Mathilde.

J’ai amené un vin de Toscane en quatre exemplaires et des pizzas achetés chez l’Italien situé dans le bas du quartier. Nous l’appelions tous l’IBQM, l’Italien du bas du quartier de Mathilde. Il avait appris que nous le nommions ainsi. Probablement une discussion entre nous dans le bistrot du coin. Il avait voulu savoir.

« IBQM c’est quoi ?

Incroyablement Bon et de Qualité chez Mario », lui avais-je répondu tout de go.

Il était content et répétait à l’envi, d’un air mystérieux :

« L’IBQM, c’est chez moi, les gars. Ce sont les balèzes de la fac qui me l’ont dit. »

Il avait même écrit sur sa vitrine : « Ici, c’est IBQM. »

C’était devenu un sujet de discussion sans fin parmi les potaches du coin : l’IBQM c’est la nouvelle ogive balistique des Américains, c’est le dernier ordinateur d’IBM, c’est « mon idée qu’elle est bonne », c’est du bio intégral génétiquement modifié, et toute une série de propositions aussi saugrenues… et Mario répondait :

« Demandez aux cadors de la fac, ils savent bien, eux, que c’est le meilleur chez Mario, l’IBQM quoi. »

Donc, le fameux IBQM à la réputation qui ne dépassait guère le secteur proche, mais qui était chaleureux et bon, nous avait fourni de quoi « fêter » nos retrouvailles.

Une fois encore, le PREMS était au grand complet. Mathilde, en cheffe de troupe scout, était rayonnante. Elle voulait poser mille questions sur la vie cairote, les femmes surtout, la mode et voulait savoir comment j’étais installé, si j’avais changé, vieilli, forci peut-être… Thibault n’attendait rien, il était là simplement. Il avait obtenu un poste au CNRS. Arnaud devait partir pour le Japon sur un autre postdoc. Il attendait les documents idoines et étudiait le japonais avec ferveur. Sarah travaillait à la Bibliothèque nationale de France sur un poste d’ingénieur avec un contrat de six mois. J’étais du groupe celui qui avait réussi et avait un poste stable. Mon expérience était donc objet d’intérêt.

Je répondis à toutes les questions posées, aux questions saugrenues, aux questions inquisitrices, aux questions maladroites, sur la vie au Caire, les femmes, la religion, les rapports professeurs – étudiants, sur mon appartement, sur mes collègues… Tout ceci en dégustant les pizzas IBQM et en buvant du Chianti Classico, qui ne les laissa pas indifférents.

Puis je repris la parole et exposai la situation qui venait de me sauter au visage. Je fis part de « ma » découverte fournie par un informateur. Je fis part de ma crédulité, de la vérification des affirmations, de ma stupéfaction, de ce que cela représentait du point de vue de l’histoire des sciences. Puis j’indiquai ma démarche à Abydos, mon courrier au directeur du Conseil suprême, mon entretien téléphonique avec Macha…

Un peu plus loin dans ce 10ème chapitre :

Le silence ! Un silence lourd s’abattit sur le groupe suite à ma présentation des faits. La première à réagir fut Sarah.

 « Waouh ! Quelle histoire ! Tu ne fais rien à moitié, Hugo ! Mais je t’avais prévenu. Macha est une louve assoiffée de sang. Tu es un agneau, bien trop gentil et sensible. Tu as cru que tu allais bouleverser les données sur l’histoire des mathématiques. Elle t’a tendu un piège. Tu es tombé dedans de plain-pied. Il n’y a qu’avec toi que cela pouvait marcher. Elle va te dévorer tout cru. Je n’ai jamais aimé cette tigresse. »

Arnaud releva qu’une nouvelle espèce venait de voir le jour : la louve- tigresse, et se prononça très clairement pour la proposition de cette nouvelle engeance.

« Macha a raison, elle t’envoie au Caire. Elle a confiance en toi et au premier écueil, tu la trahis. Pire, ce n’est pas sur une question d’administration, de gestion, de cours. Non, tu vas chercher un truc sur la symbolique de ce pays. Tu vas les titiller sur leur passé et tu vas provoquer leur plus haut représentant.

Imagine la colère de Macha, sa peine, sa honte qu’elle va devoir traîner devant ses collègues, sa hiérarchie. Elle t’a défendue bec et ongles, elle t’a nommé à l’Institut, et là, tu la poignardes. C’est fou, simplement délirant ! Excuse-moi, vieux, mais là tu as « déconné grave » ! Sarah, il n’y a pas de complot mais un jeune fat, professeur, présent devant nous, imbu de son rôle, de sa destinée, qui a mis un coup de pied dans la fourmilière et qui s’étonne de se faire piquer les chevilles. C’est dingue ! Vraiment dément !

Tu étais le plus chanceux d’entre nous. Tout te réussissait. Tu avais l’appui du super chef. Tu avais un boulevard royal devant toi. D’ici dix ans, tu revenais et tu prenais la place de la cheftaine. Tu allais pouvoir montrer un ventre bedonnant, une belle grosse voiture, une villa cossue, une femme, des gosses… Tout cela dans un fauteuil.

Et le Hugo qu’on croyait connaître va nous faire un caca nerveux sous les murs d’un temple. Son orgueil de jeune excité frétillant des neurones lui monte à la tête et il va provoquer la sommité locale, le bedonnant avec femme, gosses, chauffeur et grosse villa. Ahurissant ! T’es dingue, Hugo, le soleil cairote t’a tapé sur la tête. T’es fichtrement dingue ! »

La tirade s’arrêta là, gravement. Tous sentaient Arnaud peiné, touché.

Thibault fit « hum, hum » et attendit que la discussion soit plus engagée pour prendre une position, celle de la pensée dominante.

Thibault était ce type rare, recherché, très courtisé quand on avait trouvé sa fonction, son rôle dans une assemblée : celle de faire basculer une fraction en majorité. Dans un vote où les parties étaient à égalité, Thibault faisait basculer l’une de ces parties. Sur quelle orientation, quel axe, quel principe ? Il n’en savait rien mais dans ce moment-là, il se sentait important et tranchait pour un camp, apportant sa voix. Il ne se déjugeait plus après. Avoir Thibault avec soi était un gage de victoire. Son « hum, hum » était là pour passer le tour, passer la main, comme on le fait au poker.

Je réexpliquai l’intérêt de cette découverte pour l’histoire des sciences même. Cela dépassait ma personne. Cela dépassait Macha. Oui ou non, les anciens Égyptiens connaissaient-ils des lois que nous ne soupçonnions pas ? Si oui, quelles autres lois avaient-ils trouvées, utilisées ? Cela n’avait rien à voir avec Macha et un traquenard qu’elle m’aurait tendu. C’était une amie. Oui, elle m’avait défendu. Oui, elle m’avait propulsé à ce poste. Oui, elle me faisait confiance. Oui, dans un certain sens, j’avais trahi cette confiance. Oui, cela me désolait. Mais non, je ne voulais pas de sa proposition.

Arnaud n’en avait pas fini. Il était touché par cette histoire et par son côté « arriver au sommet et ne pas être capable d’y rester ».

« Macha t’a proposé un choix, une alternative : soit publier ta démonstration, sans faire référence au passé supposé glorieux des savants du temps des pharaons, soit tenter de casser la baraque et dans ce cas, elle t’interdira toute publication.

Si je me place de ton point de vue, Hugo, tu publies avec les références du passé et tu fais progresser la science, ce qui est ton modus operandi, nous le savons tous autour de la table. Ou alors, tu ne publies pas et tu resteras sur un échec patent, tu seras un loser éternel. Dans ce cas, tu passeras définitivement à côté de ta mission, la tienne, celle que tu t’es librement fixée. Si piège il y a, c‘est toi qui l’as posé, toi qui l’as installé, toi qui as serré le nœud de la corde qui va t’étrangler.

Cela, non, je ne peux le concevoir, l’accepter. Bordel, accepte le deal ! Sois réaliste ! Sois pragmatique ! Cela ne fera pas revenir les anciens savants égyptiens ! À toi, tout seul, tu ne vas pas remettre en cause vingt siècles d’histoire ! Aie un peu de jugeote, redescends de ton nuage ! Je te pensais plus modeste ! Et puis tiens, dans dix ans, quand tu seras à la place de Macha, tu replaceras ton information dans le cadre historique si tu veux. Tu auras du poids alors ! »

De la tête, je luis fis signe que non. Cet argument ne pouvait avoir de prise. C’était un leurre. Abandonner maintenant, c’était abandonner toujours. J’aurais encore plus à perdre dans dix ans. Et que serait ma vie avec ce sentiment de lâcheté, de faiblesse en moi ?

En se levant, dans un geste qui se voulait théâtral, Arnaud prit à partie chacun des membres de notre confrérie.

« Mes frères, mes sœurs, Hugo a eu une illumination, inspirée par un admirateur inconnu. Il a décidé de réécrire l’Histoire, celle avec un grand H. Celle des sciences. Celle des découvertes. Celle des savants. Rien que cela ! Adieu Ptolémée, adieu Descartes, adieu Chasles, adieu Poincaré, adieu Einstein. Hugo, notre Hugo est passé par là !

Mes frères, mes sœurs, nous avions au sein de notre communauté un savant digne des plus grands, que dis-je, le plus grand, sans compromission aucune, sans arrangement possible, le plus droit, le plus intrépide, le plus rationnel, le plus intransigeant avec la pureté de la science.

Nous avions ce gars-là, dans notre communauté, capable de bousculer la vision de vingt siècles d’humanité et NOUS NE LE SAVIONS PAS, NOUS NE L’AVIONS PAS VU, NOUS ÉTIONS SOURDS ET AVEUGLES !

Alors, mes frères, mes sœurs, quelques-uns se sont dit : il y a deux mille ans, un autre gars loufoque s’est levé et a dit, je veux changer le monde. On l’a mis à mort et depuis cela a fait un tel ” barouf ” sur cette terre que ces quelques-uns se sont réunis et ont dit : non, on ne recommence pas cette histoire avec cet Hugo-là ! On ne va pas nous refaire le même cirque, le mémé coup dans les sciences, chez nous…

À la tête de ces quelques-uns, il y avait une femme clairvoyante, un peu rustre, un peu sans manière, un peu brutale, un peu réactive, une certaine Macha. Elle secoua vertement le jeune illuminé. Cela ne suffit pas. Le jeune ” fou-fou ” vint voir ses amis, ses disciples, ceux qu’il avait choisis. Il n’y en avait que quatre. Mais il les aimait tant. Et ceux-là se dirent après l’avoir longuement écouté : les miracles, les conversions, les martyrs, la croix, très peu pour nous. C’est de l’ancien monde. Pas question d’y retourner. Il faut aller de l’avant, laisser les morts à la mort, se battre pour les vivants. »

Puis s’adressant à moi directement, il m’apostropha.

« Oh, dis, tu te réveilles, Hugo ? Tu ouvres les yeux sur ce monde ? Tu reprends langue avec le commun des mortels ? Tu acceptes de parler autrement que par parabole ? Tu trouves un sens à ta vie, non dans le passé, mais dans le présent ? Tu mets ta capacité créatrice à des besoins humains de notre temps ? Dis, Hugo, nous te le demandons tous ici… »

Je me levai et j’applaudis à cette tirade, un peu flatté, amusé, mais j’y reconnaissais du bon sens et beaucoup d’ironie mordante. Arnaud nous avait habitué à ce genre de transport excessif. Tous se levèrent et applaudirent.

Thibault proposa une nouvelle tournée de chianti, puis leva son verre et porta un toast à la santé mentale de Hugo retrouvée. Il venait ainsi de faire savoir où son cœur penchait. Il fit claquer sa langue de satisfaction contre le palais et assura que ce breuvage était vraiment de bonne facture.

Chacun savoura, y alla de son commentaire sur le vin IBQM.

Une douce euphorie nous gagnait. Je savourais la quiétude de cette fin de soirée avant de retourner au Caire et d’ignorer superbement la proposition de Macha. Les propos d’Arnaud, pour autant qu’ils me plaisaient et me révélaient certains aspects de ma personnalité inconsciente, ne réglaient pas cette lancinante question : pourquoi trahir la vérité ? En quoi « dire ce qui est » desservait-il l’Homme avec un grand H ?

C’est Mathilde qui mit le feu aux poudres. Sa parole était toujours attendue, écoutée. Elle était souvent la conscience du groupe, la plus âgée et la plus réfléchie, la moins impétueuse, la plus calculatrice et capable d’avancer un pion parce que ce pion aurait un rôle décisif plus tard. Comme aux échecs, où elle excellait.

« Hugo, tu nous as fait part de la réaction violente de Macha. Je ne reviens pas sur ce qu’a dit Arnaud. J’y souscris, au-delà de la scène qu’il nous a jouée avec brio. Tu ne nous as pas dit qui t’avait donné cette information. Ce qui pourrait expliquer sa violence. Soit c’est quelqu’un, disons de peu d’importance dans le domaine des mathématiques, et elle aurait souri et tourné tout cela en dérision. Soit c’est quelqu’un de “costaud”, de sa carrure à elle en mathématiques et là, elle peut prendre peur et avoir un sentiment de trahison qu’a si bien décrit Arnaud. »

Chacun mesura la portée de ces paroles et tenta d’en comprendre les implications profondes…

Éditeur : https://www.lysbleueditions.com/

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