
Étudiant la période 1800-1914, que je connaissais mal, une évidence s’est imposée à moi : les éléments qui ont conduit à la guerre de 1914 ont tendance à renaître aujourd’hui : racisme, antisémitisme, dénigrement des nations au profit des superstructures, reconstitution de blocs, manipulations mentales, désinformation… et, comme en 1914, la guerre est aujourd’hui envisagée comme une chose crédible, presque « normale », pour régler les relations entre les hommes.
Cette attitude, ce mode de pensée me répugnent. Derrière, il y a le goût amer de la résignation, de la lassitude, de l’absence de réflexion, de l’obéissance servile exigée à des dogmes édictés par des plus puissants que nous, des « élites » en tout genre.
J’en étais de ces réflexions quand Maman a offert à mon épouse une lampe à pétrole datant de la fin du XIXe siècle, lampe que Maman souhait voir gardée dans la famille.
« Qu’avait cette lampe à raconter ? » ai-je pensé.
De mes réflexions et de cet objet lampe, j’ai réalisé un roman.
L’héroïne de ce roman est cette lampe, dotée dune certaine conscience, d’un esprit d’observation. Née dans le Jura, elle va acquérir le « bon sens » de la région, puis être placée chez un avocat parisien, Raoul Fayard, qui tient salon et invite de nombreuses personnalités.
Cette lampe va croiser dans ce salon, et dans certains lieux de la vie parisienne débridée de l’époque, des romanciers, des poètes, des politiques. Elle va voir l’éclosion des journaux, d’une presse libre, puis partisane. Elle va assister aux émotions, émois, ébats des hôtes de cette période.
Ainsi, Émile Zola, Alfred Dreyfus, Victor Hugo, Victoire Daubié, Eugène Marbeau, Charles Baudelaire, Henri de Toulouse-Lautrec, Auguste Rodin, Marie de Régnier… vont se croiser, se confronter, ou être au coeur des débats du salon de l’avocat Fayard.
La lampe va nous plonger dans la vie politique, intellectuelle, scientifique de l’époque, de celle de son Jura natal, à la Commune de Paris, aux clubs, aux maisons de passe, à la Belle Époque.
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Ce roman est à lire. Pour son histoire, pour la compréhension des évènements qui ont conduit à la 1ère guerre mondiale, pour son intrigue forte, pour ses personnages, pour la description des paysages du Jura ou de la vie parisienne de l’époque…
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Extraits du roman
Naissance
Je suis née quelques mois avant la glorieuse dixième Exposition universelle de Paris. Celle de 1889, consacrée à la célébration de la Révolution française. Je suis née dans le Jura. Côté français. À Morbier. À côté d’un moulin à eau. Sous de fortes pentes enneigées. Au milieu d’horloges comtoises. Sous les effluves montant de caves aux vins élevés dans des barriques épaisses et lourdes en chêne, et celles de fromages vieillis sur des planches d’épicéa.
L’eau et le bois déterminaient la vie de la bourgade.
Je me rappelle le lancinant clapotement de l’eau remplissant les godets de la roue et le bruit de la chute de l’eau se déversant en dehors des godets.
Je me rappelle le silence angoissant quand une branche noyée dans l’eau déferlant du déversoir venait arracher quelques godets et arrêter le mouvement perpétuel généré.
Je me rappelle les cris, l’agitation des hommes affairés à retirer l’intruse, à scier, à clouer, à recaler la roue pour qu’elle puisse de nouveau rythmer le temps de sa complainte lente et égale.
Je me rappelle le doux balancier des horloges comtoises venues se refaire une beauté ou un soin, sentant le bois restauré, verni, dans cette pièce où elles me dominaient et me faisaient un peu peur. J’ai vite appris à comprendre qu’elles ne me toisaient pas, mais qu’elles souffraient d’être réunies ensemble dans une cacophonie assourdissante.
Notre maître à tous, Auguste, Gaudard de son nom, avait, je crois, compris cette douleur. Ou la débandade des sons blessait son oreille. Chaque jour, une seule horloge rythmait le temps. Il passait le matin, tournait une clé dans la tête de l’horloge et celle-ci donnait le tempo. Chacune avait un son différent. Je préférais Grenchen, la septième à partir de la cheminée où je trônais.
Sa sonorité était douce, amortie, comme posée dans de la ouate, et le cliquetis du changement d’heure était discret : un petit clic juste avant que ne résonne le marteau qui allait frapper avec amour les coups de l’heure. Grenchen était unique, on sentait la bienveillance, le calme, la sérénité, la volonté de donner l’heure, sans déranger, sans perturber les habitants, s’excusant presque de troubler le silence la nuit. Elle était destinée à partir pour une petite ville de Suisse, Granges, mais son propriétaire tardait à venir la chercher, à ma grande satisfaction.
Mais je m’égare…
La douceur, la quiétude de l’eau, la ouate du pendule oscillant, le battant délicat qui égrenait les heures, ont contribué à développer chez moi l’apaisement, le culte du beau, que j’ai recherchés durant ma vie entière. Pourtant, souvent, j’ai eu la fureur comme compagne de vie…
Mais je m’égare encore… J’oublie tous mes devoirs. Il me faut d’abord vous raconter ma naissance.
Ma naissance fut douloureuse. Dans le bruit et la chaleur. Dans l’atelier au bout du chemin, en tournant le dos au moulin.
Coincée dans une machine infernale à emboutir, pilonnée, coupée, pressée, tordue, chauffée, je naquis d’une feuille de tôle et de laiton.
Auguste avait commandé deux monstres, puis d’autres, jusqu’à être dix, m’a-t-on raconté plus tard, dans l’atelier du bout du chemin. Ces machines venaient des États-Unis, de Brooklyn. Si, si. De Brooklyn. Elles avaient traversé l’Atlantique dans les cales d’un énorme bateau puis s’étaient prélassées sur un train spécial jusqu’à la gare de Morbier. Trente ouvriers et un chariot spécialement conçu furent mobilisés pour que ces engins atteignissent l’atelier et fussent installés.
Il apparut que l’Auguste devînt fou, surexcité, devant l’engin mis en place. Personne ne l’avait jamais vu ainsi. D’habitude calme, pondéré, mais déterminé, la machine le faisait devenir autre.
Laissez-moi vous le conter. Petit, sec, un front dégarni, deux grosses touffes de cheveux au-dessus des oreilles, une moustache impressionnante, tombante, et des lunettes épaisses lui donnaient un air sévère de maître d’école. Mais c’était un ingénieur dans l’âme, un concepteur, un entrepreneur. Il portait nœud papillon et costume le soir, presque timide, effacé, soupant avec ses ouvriers, tous propres, lavés, sentant bon. Dans l’atelier, il était au milieu de ses « gars », en bleu de chauffe, haranguant, poussant, tirant, coupant, criant, vitupérant et organisant le travail.
C’est lui qui avait vu la « machine » à Londres, dans une exposition. Il avait tout de suite compris, instinctivement, l’intérêt de l’installation, qui permettait de tailler, couper, presser en quelques minutes ce qu’un ferblantier réalisait en quelques heures. Et comme l’appareil acceptait des moules en argile, une seule coulée permettait d’estamper la pièce désirée, de manière homogène, avec peu de pertes, et peu de défauts.
Mais les réglages furent laborieux. Les moules se brisaient, explosaient, le laiton se tordait. Les journées passaient et l’Auguste devenait gris. « Demain, ce sera mieux » disait-il chaque soir en nettoyant la machine des résidus et des débris de métal et d’argile.
Les ouvriers, après avoir considéré la machine avec intérêt, puis méfiance, ricanaient et souriaient devant les déboires rencontrés, s’étonnaient des sommes probablement astronomiques englouties dans cette folie, calculaient l’augmentation de salaire possible si cette somme, qui grossissait chaque jour, leur était répartie. Mais le patron demeurait rivé à son idée et, ma foi, c’était le patron !
« Allez, c’est pas demain qu’on nous remplacera » se rassurait le chef ferblantier, qui assénait son dernier coup de masse sur la tôle hurlant de douleur.
Trois semaines furent nécessaires pour amener l’appareil à daigner cracher un objet en étain, un vulgaire pot mal dégrossi. Auguste dansait de joie autour du pot. « On y est, on y est… » répétait-il à l’encan. Les ouvriers se disaient tout bas :
« Tout cela pour ça ! Trois semaines pour faire ce que nous ferions en un jour ! Et ce n’est même pas beau, pas net ! »
Ils se trompaient. Les touffes de cheveux grisonnèrent, la moustache tomba un cran plus bas, mais enfin, un premier bec à pétrole naquit au bout d’une dizaine de jours d’efforts supplémentaires.
Auguste, chaque soir, notait, biffait, rayait, ajoutait sur son cahier d’écolier son expérience du jour et mettait au point le carnet d’utilisation du monstre d’acier.
C’est ainsi que j’acquis mon squelette, sous le bruit des presses d’une machine infernale qui allait bientôt vomir ad nauseam des becs à pétrole et des piédouches.
… /…
Paris. Par ici et par là
Arrivée à Paris de nuit. Enfermée dans une caisse en bois, brinquebalée de gauche à droite sur un plateau à ridelles Berliet, je fus hissée à dos d’homme avec l’horloge et l’armoire. La caisse fut déposée sans ménagement dans une pièce apparemment vide. Des brodequins grinçaient sur un parquet couinant et je sentais la sueur et l’humidité perler entre les planches de la caisse. Ici, tout sentait la gadoue et le remugle.
J’étais loin du Jura et de la neige crissant sous les pas, du vent hurlant ou berçant les cimes des grands arbres des montagnes. Point de cette bonne odeur de fumier, qui exhalait la vie animale et les travaux des champs. Point de ces bruits familiers, qui marquaient le déroulement du temps, du chant du coq au gloussement de la rivière, du hoquet de la roue à aubes au meuglement inquiet d’une Montbéliarde ou d’une Simmental appelant son petit qui n’est plus sous sa vision, du « pop » du bouchon de vin jaune à la sortie du goulot et du claquement sec approbateur de la langue sur le palais à sa première gorgée, des rires des enfants jouant au gendarme et aux voleurs. Il y avait souvent un seul gendarme et de nombreux voleurs. Si la crainte de l’uniforme bleu était bien réelle, celui-ci et les pandores qui l’endossaient étaient la risée des jeux des gamins, qui arrivaient à chiper des objets, à ridiculiser les représentants de l’ordre. Tout gamin voulait bien être gendarme pour imposer sa règle, tout gamin se délectait à contourner le règlement.
Ici, cela sentait l’urine, les détritus, les égouts, le bruit sauvage de portes qui claquent, les rires gras qui montaient des étages et les cavalcades dans l’escalier de pierre. Ma première impression fut loin du glorieux et magnifié Paris, de son luxe, de ses lumières douces du soleil couchant sur ses ponts et de ses fastes rêvés.
Je me fis toute petite au fond de ma caisse de sapin et j’attendis des jours meilleurs. L’obscurité me chagrinait et m’angoissait. Moi, dont la fonction était de briller, j’en étais réduite à rester couchée, immobile et à préserver mon étoupe, de peur d’être impuissante à éclairer mes nouveaux hôtes.
Deux jours dans cette promiscuité dans la malle, aux côtés de vêtements, d’une paire de bottes, d’une bible, de vaisselle en laiton, de linges humides et d’une redingote sombre. Enfin, arriva le moment de ma libération. On arracha le couvercle et je fus éblouie de lumière. C’était le jour, une fin de matinée si j’en jugeais la lumière perçant au travers de la fenêtre d’un rayon presque vertical. Je fus débarquée sans ménagement, déposée sur une cheminée de marbre rose dans un appartement très haut, très vaste.
… / …
Du droit anglais en discussion avec Hugo
…
Parmi les républicains amis de Hugo se trouvait un certain Jean-Baptiste-Henri Lacordaire, connu, en religion, sous le nom du père Henri-Dominique Lacordaire. Il était religieux, journaliste, homme politique.
Qui était ce père Henri-Dominique Lacordaire ? Il avait fait ses études de droit à Dijon, puis était devenu avocat, comme moi. Puis, ayant embrassé la foi, il avait refondé en 1843 un premier couvent à Nancy, de l’ordre des Dominicains. Cet ordre était alors interdit par l’Église. Il s’était fait connaître en participant grandement à la rédaction d’un manifeste pour la liberté des ordres religieux dans l’État, réclamant pour eux le droit civil d’association. Ce manifeste inquiéta les autorités religieuses et les autorités politiques. Hugo s’engagea à me le fournir. Ce qu’il fit.
Ce manifeste revendiquait les points suivants :
« Nous demandons premièrement la liberté de conscience ou la liberté de religion, pleine, universelle, sans distinction comme sans privilège ; et par conséquent, en ce qui nous touche, nous catholiques, la totale séparation de l’Église et de l’État […] Cette séparation nécessaire, et sans laquelle il n’existerait pour les catholiques nulle liberté religieuse, implique, d’une part, la suppression du budget ecclésiastique, et nous l’avons hautement reconnu ; d’une autre part, l’indépendance absolue du clergé dans l’ordre spirituel […] De même qu’il ne peut y avoir aujourd’hui rien de religieux dans la politique, il ne doit y avoir rien de politique dans la religion. »
« Nous demandons, en second lieu, la liberté d’enseignement, parce qu’elle est de droit naturel et, pour ainsi dire, la première liberté de la famille ; parce qu’il n’existe sans elle ni de liberté religieuse, ni de liberté d’opinions… »
La liberté, en tous sujets, était au cœur de ces hommes.
Une anecdote amusait beaucoup Hugo au sujet de son ami Lacordaire. Quelques jours après le coup d’État du 2 décembre 1851, Lacordaire se rendit comme à l’accoutumée chez un ami commun, opposé comme nous à la tyrannie du Bonaparte.
Cet ami était surveillé par la police et de fait condamné à domicile, puisqu’il ne pouvait sortir de chez lui, ni recevoir. Un policier était de garde au pied de l’immeuble et interdisait toute entrée à qui ne résidait pas là.
Un subterfuge fut proposé par la femme de notre ami commun. Elle déclara au gendarme habiter au dernier étage et être une « cocotte », une femme de mœurs légères, qui vivait au crochet de messieurs aisés et qui leur prodiguait des services sexuels rémunérés. Nous étions dans le beau monde et une cocotte n’était pas enregistrée comme prostituée par la préfecture de police. Ainsi, les amis de notre ami entraient dans l’immeuble au bras de Madame et ne « montaient » pas avec une femme légère, mais montaient voir son mari, notre ami.
C’était plaisant de voir, paraît-il, le père Lacordaire accroché au bras d’une cocotte toisant le policier, franchir le seuil et monter l’escalier au bras de cette « belle ». Le brave père Lacordaire, frère prêcheur dominicain, avait du mal à garder son sérieux devant la cocasserie de la situation, montant officiellement l’escalier pour « confesser une cocotte » et tenter de la ramener dans le giron de la foi. Cela lui a permis de rester en contact avec notre ami pendant plusieurs semaines et lui permettre d’organiser sa fuite de Paris.
Monsieur Fayard racontait ces faits avec beaucoup de joie et de la malice dans le regard.
Il racontait aussi bien volontiers ses souffrances dues aux ampoules aux pieds le soir et le lendemain de cette course dans la forêt et sur les côtes crayeuses au-dessus de la Seine, avec son devenu ami, Victor Hugo. À son arrivée à Villequier, distancé, trainant bas, il laissa seul le poète dans son silence, à sa douleur, et à son pèlerinage au cimetière. Il revint à Yvetot en voiture. Son train était parti depuis longtemps et il trouva un hébergement de fortune… dans un hôtel de passe.
Mais de tout cela, il n’en parla dans son salon qu’une fois la IIIe République proclamée.
Après une guerre meurtrière, absurde, qui l’affecta beaucoup.
… / …
L’union sacrée pour la guerre
Le président de la Chambre des députés prononça le 4 août 1914 un éloge funèbre de Jaurès salué par l’ensemble des députés. Il reçut un accueil enthousiaste sur tous les bancs de l’hémicycle et scella l’union sacrée par ces mots :
« […] Y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n’y a plus que des Français. […] Du cercueil de l’homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d’union ! De ses lèvres glacées sort un cri d’espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n’est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? »
Le 28 juillet 1914, à la suite de l’attentat de Sarajevo, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre au royaume de Serbie.
Le 1er août, l’Empire allemand déclare la guerre à l’Empire russe.
Le 3 août, l’Empire allemand déclare la guerre à la France.
Le 4 août, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Empire allemand.
Le 5 août, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à l’Empire russe.
Le 6 août, le royaume de Serbie déclare la guerre à l’Empire allemand.
Le 7 août, le royaume du Monténégro déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie.
Le 12 août, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Autriche-Hongrie.
Le 22 août, la Belgique déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie.
Le 23 août, l’Empire du Japon déclare la guerre à l’Empire allemand.
Le 25 août, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à l’Empire du Japon.
Le 1er novembre, l’Empire russe déclare la guerre à l’Empire ottoman.
Le 2 novembre, le royaume de Serbie déclare la guerre à l’Empire ottoman.
Le 5 novembre, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Empire ottoman.
…