Comment l’histoire nous enseigne… Sur le canal de Panama… 

Le nécessité du canal de Panama

Le canal de Panama a été envisagé dès le XVIe siècle. L’idée était de traverser l’isthme de Panama en Amérique centrale et de permettre de relier l’océan Atlantique (mer des Caraïbes) à l’océan Pacifique (golfe de Panama), afin d’éviter un contournement long et difficile du continent sud-américain et de ne pas affronter à sa pointe sud le terrible cap Horn où il n’est pas rare de rencontrer des icebergs, où la température est très basse, où la visibilité est souvent nulle, où les vents sont extrêmement violents et où des vagues, appelées vagues scélérates, atteignent parfois trente mètres de hauteur. Si une vague de tempête de 10 mètres de hauteur peut exercer une pression de 12 tonnes par mètre carré, une vague scélérate de 30 mètres peut exercer une pression allant jusqu’à 100 tonnes par mètre carré. Une telle vague, souvent dans une série de vagues aussi redoutables, peut briser des navires en quelques secondes. Le cap Horn est ainsi le plus grand cimetière de navires du monde. Plus de 800 navires y ont fait naufrage et 10.000 marins y ont péri.

Construire un canal pour traverser la partie centrale étroite de l’Amérique centrale, sécuriser les transports maritimes et raccourcir les durées des trajets d’environ 5000 km pour naviguer de l’Asie à la côte orientale (East Coat) des États-Unis était un rêve, un projet fou, mais à la dimension des moyens des hommes. 

Fort de ce succès, de ses appuis diplomatiques et de sa renommée, Lesseps fonda en 1879 la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, pour réunir les fonds nécessaires et mener à bien le projet du creusement du canal de Panama. Le coût estimé était de 600 millions de francs. 300 millions furent récoltés par des émissions d’actions sur les 400 demandés. Les travaux débutèrent en 1881 et furent vite ralentis, voire stoppés, par des épidémies de malaria, de fièvre jaune et par une insuffisante étude de l’environnement traversé. En 1884, les caisses de la Compagnie étaient vides et une petite partie du projet était réalisée. 

Entre 1859 et 1869, la Compagnie Universelle du canal maritime de Suez fondée par Ferdinand de Lesseps construisit le canal de Suez. Lesseps, diplomate, s’appuya sur les travaux de l’ingénieur Jacques-Marie Le Père, membre de l’expédition scientifique d’Égypte de Bonaparte. Soutenu par l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie, Lesseps réunit par souscription plus de 100 millions de francs nécessaires pour fonder sa Compagnie, aidé par le gouvernement égyptien qui finança 80 millions pour la construction du canal de Suez.

Le scandale financier et politique

Devant les difficultés techniques, Lesseps fit appel à Gustave Eiffel, qui reprit alors le projet et en modifia la conception, en définissant les écluses nécessaires au dénivelé. Lesseps continua à récolter des fonds auprès d’épargnants mais, pour cela, il dut obtenir une modification de la loi pour permettre l’émission d’un emprunt. De cette exigence va naître un important réseau de corruption de journalistes et de parlementaires pour obtenir la promulgation de la loi qui sera votée en 1888.

Malgré cette loi sur mesure, en 1889, la Compagnie est déclarée en faillite. 85 000 souscripteurs sont ruinés. En 1891, une information pour abus de confiance et escroquerie est ouverte. Débute alors le plus grand scandale financier du XXe siècle en France.

Un journaliste antisémite et antiparlementaire, Édouard Drumont, révèle le scandale dans son quotidien La Libre Parole. Incarcéré, il va livrer le mécanisme de la corruption et les noms des corrompus. Une dizaine de ministres, 104 parlementaires qui auraient touché des sommes entre 1 000 et 300 000 francs sont mis en cause. Plusieurs sont arrêtés, condamnés, d’autres fuient à l’étranger ou se suicident. Lesseps et Eiffel sont condamnés à 5 ans de prison. Lesseps échappe à la prison vu son âge et Eiffel est réhabilité par la Cour de cassation.  

Le scandale de Panama, l’implication de nombreux républicains modérés et des radicaux, la compromission jusqu’au sommet de l’État, les manœuvres pour étouffer l’affaire vont peser durement sur la confiance en la vie démocratique. 

Jaurès déclare à l’Assemblée : « Il ne suffit pas de flétrir et de dénoncer les scandales, il faut dire encore comment on entend les déraciner et en empêcher le retour. […]

Que voyons-nous en effet ? Qu’avons-nous constaté dans cette triste affaire de Panama ? D’abord – je le dis nettement – que la puissance de l’argent avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale. […] Je dis qu’il ne suffit pas d’apporter de vagues protestations d’honnêteté, mais qu’à des solutions morales nouvelles, il faut donner comme sanction et garantie des solutions sociales nouvelles… »

Les banquiers impliqués étant juifs, un antisémitisme populaire va se développer et se manifestera dans l’affaire Dreyfus.

En 1899, une guerre civile, la guerre des « Mille Jours », oppose la Colombie et un de ses départements : Panama. Cette guerre, féroce, va durer 1130 jours. 

Le rôle des États-Unis

Le président Theodore Roosevelt, au pouvoir en 1901, déclara que « l’avenir des États-Unis dépend de l’existence du canal de Panama ». Washington va encourager et soutenir le mouvement révolutionnaire panaméen. 

Le traité du Wisconsin, faisant suite aux négociations de paix discutées sur le navire nord-américain l’USS Wisconsin met fin à la guerre des Mille Jours. Il est signé sur ce navire le 21 novembre 1902. 

Le conflit aura causé entre 60 000 et 150 000 morts.

Le 13 novembre 1903, les États-Unis reconnaissent officiellement la république du Panama, la France fait de même le lendemain, et à la fin de novembre, quinze autres pays d’Amérique, d’Europe et d’Asie reconnaissent le nouveau pays.

Le 18 novembre 1903, un traité pour la construction du canal interocéanique, coupant le pays en deux, est signé sur le navire américain entre un représentant du gouvernement panaméen et les États-Unis. 

Le gouvernement et le Congrès de Panama accordent aux États-Unis, le contrôle perpétuel de la zone du canal. Cette zone est constituée du canal, achevé par les USA, et d’une aire s’étendant sur huit kilomètres de part et d’autre de la ligne médiane de celui-ci, interrompant la continuité écologique et économique de la région. 

Les ingénieurs américains reprennent le projet de Eiffel d’un ouvrage à écluses, règlent la question de la fièvre jaune et de la malaria et le 15 août 1914, au moment même où éclate en Europe la Première Guerre mondiale, le Canal de Panama relie l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. 

La République de Panama perçoit alors 250 000 dollars US par an, une très faible contrepartie en comparaison avec les milliards générés par le Canal de Panama, en termes militaires, de transports, de voyages, de tourisme…

Une vingtaine de bases militaires américaines sont installées dans cette zone du canal et une centaine dans tout le pays. La zone est interdite d’accès aux Panaméens, sauf à disposer d’un sauf-conduit pour y travailler. Les villes panaméennes qui s’y trouvent sont rapidement déplacées en dehors de la zone.

Jusqu’au début des années 1930, les élections panaméennes, ainsi que les mouvements sociaux, sont étroitement surveillés et contrôlés par les autorités américaines.

En 1959 des lycéens pénètrent dans la zone du canal pour y planter des drapeaux panaméens. Ils sont durement réprimés. En 1964, de nouveau, des lycéens pénètrent dans la zone pour réclamer que le drapeau panaméen y soit hissé aux côtés du drapeau états-unien, comme le prévoyait un accord signé l’année précédente entre les deux pays. La répression fit 22 morts parmi les manifestants, dont plusieurs mineurs. Cette journée est dénommée « Jour des martyrs ». Dans la mémoire du peuple panaméen, ce Jour des martyrs est considéré comme un moment fondamental de la lutte pour la récupération de la souveraineté du pays sur le canal.

De 1977 à 1999 le canal est géré par les gouvernements des États-Unis et de Panama. Depuis 1999, la souveraineté du canal et de la zone est pleine et entière par le seul Panama.

Près de 15 000 bâtiments empruntent annuellement les 77km du canal et traversent l’isthme en une dizaine d’heures. Les plus imposants, dénommés dans le jargon maritime « Panamax », peuvent charger 14 000 conteneurs. Mais la dimension des écluses a été étendue et des navires « Neopanamax » plus volumineux peuvent traverser cet isthme.

Les États-Unis et la Chine sont les deux principaux utilisateurs de ce passage reliant les océans Pacifique et Atlantique, par lequel transite 5 % du commerce maritime mondial.

Les velléités sur le canal aujourd’hui

Le 21 décembre 2024, avant même sa prise de fonctions, et à de nombreuses reprises depuis, dont six fois dans son discours d’investiture, Donald Trump a fait part de la volonté des États-Unis d’obtenir un droit de passage gratuit pour les navires civils et militaires américains sur le canal de Panama et d’en reprendre le contrôle et la gestion.

S’appuyant sur l’argument de la construction et de la possession passée de ce canal par les États-Unis, l’hôte de la Maison Blanche revendique le retour du canal sous le giron de l’administration américaine, affirmant qu’il n’excluait pas une intervention militaire en ce sens. 

Un projet de loi a été déposé au Congrès américain par les républicains pour le rachat du canal. Un texte, déposé par les démocrates, vise à interdire l’usage de fonds fédéraux pour l’invasion du Canada, du Groenland ou du Panama.

Un autre argument, maintes fois avancé, serait une influence excessive de la Chine sur le canal, qui ferait peser une menace sur la sécurité de la route reliant les océans. Une entreprise hongkongaise, CK Hutchison, possédait en effet depuis presque trente ans la concession de deux des cinq ports situés de chaque côté du canal, mais la gestion du canal était restée exclusivement publique et panaméenne. 

À l’issue d’une rencontre le 2 février 2025 avec le secrétaire d’État américain Marco Rubio, le président panaméen annonce qu’il ne prolongera pas la coopération avec la Chine sur le projet d’infrastructures des « Nouvelles routes de la soie » et qu’il y a lieu de réexaminer les concessions chinoises des deux ports.

Le 4 mars 2025, une annonce vient bouleverser la situation existante :  les ports détenus par la société hongkongaise Hutchison, à l’exception des ports chinois, sont en passe d’être vendus à un consortium américain, mené par la société d’investissements BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde. Parmi ces ports figurent les deux ports panaméens.

« Je voudrais insister sur le fait que la transaction est de nature purement commerciale et totalement sans rapport avec les récentes informations de presse en matière politique concernant les ports du Panama. […] Cette transaction est le fruit d’un processus rapide, discret mais compétitif au cours duquel de nombreuses offres et marques d’intérêt ont été reçues », a précisé un responsable de CK Hutchison, dans un communiqué.

Les économistes se posent la question suivante : quel est l’intérêt des Chinois à céder un réseau d’infrastructures portuaires mis en place depuis plus de vingt ans ? Est-ce là le reflet d’un accord de « répartition du monde » entre Washington, Moscou et Pékin ?

Assiste-t-on à une volonté néocoloniale, à une redistribution des cartes géostratégiques ? 

Le contrôle et la maîtrise des océans, celle des richesses minières, agricoles, celle de l’eau, etc. semblent bien être un enjeu stratégique.

La force, la guerre sont au cœur de ce dispositif d’accaparement. 

Tout comme cela était dans la période précédant la guerre de 1914… 

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